« La GenZ est submergée d’informations divertissantes et éphémères »

L'INTERVIEW - HESPRESSO #9
Avec l’évolution ultrarapide du numérique, la GenZ est confrontée quotidiennement à des outils et applications dont nous peinons encore à estimer les impacts concrets, notamment sur le développement social, intellectuel et psychologique de la jeunesse. Raphaël Zumofen, adjoint de direction au sein de la Haute Ecole de Santé et chercheur à l'institut Santé et à l'Université de Lausanne, nous livre son analyse à la suite d’un projet de recherche en lien avec la GenZ.
Vous avez développé un projet de recherche au sujet de la communication des administrations publiques qui peut apporter un éclairage intéressant sur la GenZ. De quel projet s’agit-il ?
Notre projet de recherche examine comment 19 villes en Europe et au Canada – sur un total de 180 villes contactées – utilisent des influenceuses et influenceurs dans leur communication. Ces derniers sont un canal de communication privilégié par la GenZ pour s’informer. Nous avons analysé les éventuelles réticences des administrations à les utiliser, la liberté qui leur est octroyée, le type de création de contenu, les interactions avec la communauté, etc.
Quels sont les résultats les plus surprenants de votre étude ?
Nous avons constaté plusieurs tendances très intéressantes. Tout d’abord, les administrations publiques peinent à entrer en contact avec les 18-25 ans, c’est-à-dire la GenZ. C’est pourquoi certaines d’entre elles ont fait appel à des influenceurs et influenceuses qui ont un lien fort avec leur communauté. Les villes s’adaptent donc à ce nouveau public, en proposant, en plus des outils habituels de communication, un canal supplémentaire avec des personnalités qui ont un public cible localisé sur la région. L’avantage principal pour les villes, c’est la relation de confiance que l’influenceur ou l’influenceuse a créé avec sa communauté et les codes, propres aux réseaux sociaux et à la GenZ, qui leurs sont familiers. Par ailleurs, nous avons également découvert que cette tendance est plus répandue et intégrée dans les stratégies de communication des villes au Canada qu’en Europe.
A quel genre de contenu la GenZ est-elle plus sensible ?
Par son utilisation précoce et massive des téléphones portables, la GenZ a tendance à consommer beaucoup d’informations de diverses sources. Mais pas n’importe lesquelles. En priorité les photos et vidéos qu’ils et elles trouvent sur les réseaux sociaux, qui proviennent de leurs amis et amies ou de leur communauté, qui sont courtes et divertissantes. Et avec des formats comme ceux de TikTok, on les raccourcit encore plus, avec des vidéos de l’ordre de 10-15 secondes. Nous observons également une tendance des différentes plateformes à proposer du contenu de plus en plus similaire.
Pourquoi des formats si courts ?
Avant tout pour attirer l’attention. Scroller d’une information à l’autre très rapidement crée un impact sur notre capacité d’attention. De nombreux jeunes de la GenZ présentent une consommation boulimique, voire parfois pathologique, de médias très courts. Comme face à un buffet opulent, ils et elles désirent goûter un peu de tout.
De plus, alors que les réseaux sociaux ont donné le statut de créateur ou créatrice de contenu à tout le monde, démultipliant ainsi l’offre, la valeur de l’information a diminué. Et comme les infos sont éphémères, mieux vaut en publier régulièrement, quitte à faire parfois du contenu de mauvaise qualité, plutôt que de laisser la place aux autres.
Peut-on estimer les impacts concrets de ces outils sur le développement social, intellectuel et psychologique de la jeunesse ?
Les réseaux sociaux ont profondément transformé la GenZ et son rapport à la réalité. Sur le plan social, ces plateformes facilitent les interactions entre pairs à travers le monde. Cependant, elles créent également une pression sociale intense, exacerbée par la mise en avant de vies idéalisées et de normes esthétiques souvent irréalistes.
Intellectuellement, les réseaux sociaux fournissent un accès immédiat et presque illimité à l'information. La GenZ a donc accès à une vaste gamme de perspectives. Cela peut tout autant enrichir leur pensée critique que les exposer de manière importante à la désinformation.
Sur le plan psychologique, l'usage intensif des réseaux sociaux comporte des risques tels que l’augmentation de l'anxiété. La recherche de validation en ligne peut également altérer la perception de soi. Il est donc essentiel pour la GenZ d’avoir une gestion responsable de ces outils pour minimiser leurs potentiels effets négatifs.
Qu’est-ce qui est central dans cette génération ?
Il s’agit de la première génération à être née avec Internet. La GenZ a donc une tendance à l’hyperconnectivité. Elle va être moins sensible que les générations précédentes aux médias classiques et va préférer valoriser les infos qui viennent de cercles proches, avec des risques de dérives occasionnés par des infos non vérifiées ou le phénomène de chambre d’écho[1].
On remarque également une autre tendance de fond : l’importance de trouver une occupation professionnelle qui a du sens. Les entreprises intègrent peu à peu ces paramètres. Au début, pour retenir les jeunes talents prometteurs qui désiraient démissionner, les entreprises leur proposaient des salaires plus élevés. Cela ne marche plus vraiment. Ils acceptaient, mais diminuaient leur temps de travail pour trouver, en parallèle, des activités annexes qui avaient du sens.
C’est tout le paradoxe, selon moi, de cette génération. Elle est submergée d’informations divertissantes et éphémères, mais désire ardemment trouver un travail enrichissant pour participer à changer la société en profondeur.
[1] Situation dans laquelle l'information, les idées ou les croyances sont amplifiées ou renforcées par la communication et la répétition dans un cercle défini. Les sources ne sont alors pas remises en question et les points de vue opposés sont censurés ou sous-représentés.