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Anjani (Kirit) Dhrangadhariya
Tuesday 04 June 2024 08:00

Doctorante à l’institut informatique, Anjani (Kirit) Dhrangadhariya est née en Inde. Engagée, solaire et curieuse, elle s’est toujours demandé, dans le cadre de son cursus universitaire, quelle contribution elle pourrait apporter à la société. Elle a rejoint l’institut informatique de la HES-SO Valais-Wallis en tant qu’assistante de recherche, puis y a poursuivi ses études comme doctorante. Son parcours étonnant la mènera à travailler pour l’équipe d’analystes de données de l’une des plus grandes sociétés pharmaceutiques de Suisse, Roche pharmaceuticals.

Inde, Allemagne et Suisse : un parcours international

Anjani nous confie que c’est un peu par hasard qu’elle a choisi de s’inscrire dans la filière bachelor en bioinformatique du Christ College Rajkot en Inde. Pour l’anecdote, elle avait décidé d’orienter son cursus vers les biotechnologies, mais le jour où elle s’est rendue à l’université pour rencontrer les professeur-es de cette filière, c’était l’heure de la pause déjeuner. Elle a rencontré dans les couloirs un professeur de bioinformatique qui a su la convaincre de changer de voie ! Elle a compris ce jour-là les opportunités et les possibilités offertes par l’informatique et s’est donné pour but de saisir comment résoudre concrètement des problèmes de santé publique. La filière informatique en Inde était très mixte et composée d’environ 50% de femmes ; ceci, nous explique Anjani, parce que les parents indiens encouragent leurs filles dans cette voie car cela leur semble un choix intéressant qui permet surtout de travailler en sécurité depuis chez soi. Mais pour Anjani, pas question de s’enfermer chez elle ! Après une discussion avec une bioinformaticienne qui avait étudié en Allemagne, elle s’est mise à rêver d’études en Europe. Elle a tenté sa chance et a envoyé un dossier à l’Université de Bonn qui l’a acceptée. Son profil est si intéressant qu’elle obtient une bourse d’études lui permettant de vivre en Allemagne, le prix des études en Europe étant très élevé pour sa famille. Elle nous explique qu’à la fin de son bachelor, l’examinateur l’a découragée à poursuivre avec un Master, arguant qu’une femme dont le niveau d’éducation serait trop élevé peinerait à se marier. Mais c’était sans compter sur le soutien inconditionnel de son père qui ne croyait pas à cela et l’a incitée à poursuivre ses études. Elle se lance donc à la découverte d’un nouveau pays et d’une nouvelle manière d’enseigner. Elle trouve à nouveau la répartition femmes / hommes assez égalitaire, mais mentionne que la majorité des femmes présentes dans la filière bénéficiaient d’une bourse d’étude. Elle réalise, durant son cursus, que tous les domaines d’études ont la même importance, sciences dures ou sciences sociales, car chacun apporte un éclairage différent sur une même problématique. Cela lui permet de mettre au défi sa compréhension de l’utilisation de l’informatique dans le domaine de la santé. Elle termine son Master avec comme spécialisation l’analyse des processus de langages naturels puis repart en Inde. Toutefois, elle souhaite continuer à apprendre et à développer des solutions pour rendre l’accès aux soins plus simple et plus sûr. En cherchant un lieu où réaliser son doctorat, elle trouve deux universités intéressantes en Suisse et aux Pays-Bas. Henning Müller, Professeur et chercheur à la HES-SO Valais-Wallis l’a convaincue de venir à Sierre. Les aspects technologiques des spécialisations du pôle eSanté de l’institut informatique l’ont tout de suite intéressée (machine learning et deep learning). Elle a beaucoup apprécié la grande liberté qu’Henning lui a laissé dans la direction de son travail et son soutien patient tout au long de ses quatre années de recherche. 

Extraire l’information, filtrer les études et éclairer les biais

Anjani prend un exemple simple pour illustrer l’importance de son travail. Admettons que vous soyez une femme indienne avec une affection de la peau et que vous deviez voir un médecin pour un traitement. Les décisions thérapeutiques sont toutefois prises en combinant des centaines d'études en double ou triple aveugle, non seulement en rapport avec la pathologie de la maladie, mais aussi en fonction du sexe et de l'origine ethnique des patient-es, afin de réduire au minimum les effets secondaires des médicaments. Toutefois, pour trouver ces études spécifiques, les médecins doivent passer au crible des millions de papiers scientifiques disponibles et chaque médecin, centre hospitalier ou entreprise pharmaceutique ne peut pas prendre le temps de les lire tous pour proposer le meilleur traitement à ses patient-es. Combiner des centaines d’études en double ou triple aveugle est aussi nécessaire pour qu’un gouvernement légifère sur un sujet médical (autorisation d’un médicament, port de tel type de masque, etc.). Anjani (Kirit) Dhrangadhariya a donc décidé de travailler à faciliter la vie des parties prenantes du domaine de la santé. Ses recherches visent à automatiser le processus de lecture des études et à proposer un outil permettant au corps médical, aux institutions socio-sanitaires, aux gouvernements ou aux industries pharmaceutiques d’y accéder simplement et rapidement. En effet, le système actuellement disponible permet de repérer un papier scientifique spécifique, mais ne propose pas un niveau de granularité suffisant pour filtrer des éléments très important tels que les symptômes des patient-es, la durée du traitement, les paramètres d’administration du traitement ou les résultats vitaux pour les patient-es. L’une des premières phases de son travail a donc consisté à créer des filtres utilisant des techniques d’extraction de données pour réduire le nombre de papiers auxquels se référer. La deuxième phase a séparé les études en catégories importante et non importante en fonction des besoins des parties prenantes. Pour ce faire, Anjani a travaillé en étroite collaboration avec une équipe scientifique d'une société pharmaceutique suisse. La troisième et dernière phase consistait en l’annotation manuelle des biais présents dans ces études scientifiques. En travaillant avec l'institut de recherche en physiothérapie de la HES-SO Valais-Wallis, elle a pu annoter des risques de biais dans des essais cliniques. Ils ont identifié le processus comme étant fastidieux et cognitivement exigeant, même pour les experts hautement qualifiés. Elle s’est alors demandé si les Large Language Models, soit des modèles d’intelligence artificielle générative traitant et générant du langage naturel afin d’apprendre la complexité du langage humain, pouvaient détecter les biais des essais cliniques. Il s’est avéré que l’intelligence artificielle générative a pu remarquer ces biais aussi bien qu’un humain. Toutefois, dans certains cas où la subjectivité entre en jeu, où des informations ont été omises intentionnellement ou non par les auteur-trices des études, c’est uniquement l’humain qui est capable de détecter ces biais. Les modèles de langage génératif se sont avérés performants pour palier le travail humain et le soulager de cette tâche longue et fastidieuse. Pour la suite de sa carrière, elle a choisi de se diriger vers le privé ; Anjani souhaite que ses recherches aient un impact réel dans la vie des gens. Elle a l'intention de travailler sur l'analyse du comportement des grands modèles de langage dans le domaine de la recherche et du développement pharmaceutiques. Elle rêve d’évaluer les systèmes d’IA existants à la lumière des théories neuroscientifiques de la conscience, de travailler sur la biologie numérique pour tester des hypothèses scientifiques de manière virtuelle et, pourquoi pas, de construire un pont entre la recherche en Inde et en Europe, entre les disciplines et entre les cultures. Elle s’intéresse d’ailleurs aux langues anciennes, telles que le sanskrit (Inde) et l’avestique (Perse) en se questionnant sur leur origine commune comme l’indo-européen afin, à nouveau, de lier les personnes et les continents qui, au fond, possèdent les mêmes racines. En rapport avec ce hobby, elle écrit des articles sur Medium - https://anjani-kd.medium.com/