Retour à la page précédente
Sarah Dini, professeure HESTS
Wednesday 19 June 2024 16:06

Un projet novateur en réalité mixte, codirigé par Sarah Dini, chercheuse et professeure à la HESTS, attire l'attention pour ses avancées technologiques et sociales. Porté par la start-up DiverSsiTy, ce programme aide les jeunes atteints de TSA* à développer des compétences sociales et à surmonter leur anxiété. Le projet a récemment remporté le prix principal de la 15e édition du Prix Créateurs BCVS, récompensé pour son innovation et son potentiel inclusif. Entretien.

Quelle est votre mission au sein du projet DiverSsiTy ?

SARAH DINI: En tant que chercheuse en Travail social, ma mission est de créer un « Living Lab », c'est-à-dire un laboratoire vivant où chercheurs, entreprises, bénéficiaires (les personnes TSA), thérapeutes, professionnels et familles collaborent. Tous ces acteurs co-construisent pour s'assurer que le produit, basé sur la réalité mixte, réponde aux besoins et aux réalités des utilisateurs. 

Quelle approche est utilisée concrètement ?

J'ai mobilisé un réseau de professionnels de l'éducation sociale, de la psychologie, de l'enseignement spécialisé, de la pédopsychiatrie, de la psychomotricité et du sport pour créer des exercices sollicitant diverses compétences des personnes TSA, comme la gestion de l'anxiété sociale, l'hypersensibilité sensorielle ou la proprioception. Nous organisons des groupes de discussion (Focus Groups) avec ces professionnels pour définir les compétences à travailler puis les transformons en exercices de réalité mixte. 

Quels sont les aspects les plus novateurs du projet ? 

Tout d'abord, il s'agit d'une véritable innovation technologique. La réalité mixte, qui permet d'interagir avec des objets virtuels dans un environnement semi-réel, en est encore à ses débuts. Cette approche représente donc une première innovation notable.

Ensuite, l'innovation sociale est également significative. Grâce à la réalité mixte, il est possible de créer une sorte de fenêtre sur notre monde en entraînant des compétences, sans les ancrer directement dans la réalité. Pour un jeune TSA, s'exercer dans un environnement sécurisant, comme sa propre chambre, est rassurant. Cela permet de désensibiliser progressivement et de mettre en place des exercices à long terme pour développer des compétences.

Par ailleurs, des innovations dans le domaine de la santé sont également présentes. Les enfants TSA souffrent souvent de comorbidités, notamment d'anxiété. Notre but est de pouvoir atténuer ces symptômes, par ces exercices à réaliser régulièrement à domicile et d'offrir ainsi un bénéfice thérapeutique.

Enfin, notre équipe se distingue par sa pluridisciplinarité, réunissant des compétences en travail social, en informatique et en Game design.

Et c'est pour cela que le projet a obtenu cette reconnaissance ?

Je pense que cette combinaison d'innovation technologique et sociale a été un point fort de notre projet. Anne-Laure Héritier, la responsable de la start-up DiverSsiTy, a souligné l'importance de cette approche, affirmant qu'elle favorise une meilleure inclusion. Contrairement à l'idée reçue que le monde virtuel isole, ce projet vise à développer des compétences sociales et à encourager les personnes TSA à explorer le monde extérieur. 

Qu'est-ce que la réalité mixte et quel est sa spécificité par rapport à la réalité virtuelle ?

Contrairement à la réalité augmentée où les objets ajoutés ne sont pas interactifs, la réalité mixte intègre des avatars simplifiés avec lesquels on peut interagir. Pragmatiquement, le casque scanne l'environnement (chambre ou salon) et y fait apparaitre virtuellement des objets ou des avatars avec lesquels le jeune peut interagir. Cette technologie est un outil supplémentaire pour la ou le thérapeute, dans le suivi. L'objectif vise à désensibiliser les jeunes par rapport à leurs peurs et au côté anxiogène du monde en leur permettant d'acquérir des compétences dans un monde virtuel avant de les appliquer dans le monde réel.

Quels sont les partenaires de recherche au sein de la HESTS et l'équipe du projet ?

Je suis la responsable côté Travail social, et je collabore avec ma collègue Gloria Repond sur ce projet. Antoine Widmer, de l'Institut Informatique, est le lead du côté informatique et travaille avec son collaborateur Jeff Zufferey. Notre travail est soutenu financièrement par InnoSuisse. Nous collaborons également avec une équipe de Game designers basée à Paris, engagée par DiverSsiTy.  Il y a beaucoup d'échanges sur le développement technologique, ils sont basés sur les observations et analyses des Focus Groups pour créer des exercices adaptés aux besoins des utilisateurs.

La collaboration entre les membres de l'équipe a-t-elle contribué au succès du projet ?

Absolument. Nous veillons à ce que les deux instituts soient présents tout au long du processus. Les membres de l'institut informatique apportent des contributions lors des Focus Groups sur ce qui est techniquement faisable. Pour la phase de conceptualisation, nous utilisons des méthodes Agile, avec des « sprints » technologiques auxquels Gloria et moi participons en tant que représentantes des besoins du terrain.

Où en êtes-vous dans le déroulement du projet ?

Nous avons formé les Focus Groups, identifié les besoins et proposé des idées d'exercices. Nous sommes maintenant dans la phase de prototypage, où l'informatique et les Game designers développent les premiers exercices. Une fois prêts, nous les testerons avec des professionnels et certains jeunes TSA, et recueillerons leurs retours. Les Focus Groups sont sous ma responsabilité, tandis que le développement est sous celle d'Antoine. Nous travaillons en complémentarité constante, ce qui est très enrichissant. 

Quels défis avez-vous rencontré au cours de votre recherche, et comment les avez-vous surmontés ?

L'un des défis majeurs était de parler un langage commun et de bien comprendre les besoins et intentions de chacun. En tant que chercheuse en Travail social, je parle TSA, inclusion et anxiété sociale, tandis que mes collègues parlent de machine learning, d'algorithmes et de technologies émergentes. Avec les Game designers, c'est encore un autre langage. Croiser les enjeux de chacun était un défi, mais également une expérience passionnante.

Comment envisagez-vous d'utiliser cette récompense pour faire progresser vos travaux ? 

La somme allouée sera destinée à DiverSsiTy, la start-up qui gère le projet. Nous discuterons de la meilleure manière d'utiliser cet argent, notamment pour l'investissement en ressources humaines, comme les Game designers, et pour le coaching. Le projet est limité dans le temps (octobre 2023 à mars 2025), mais DiverSsiTy continuera au-delà.

Quelles sont les prochaines étapes de votre projet de recherche ?

La prochaine étape est de faire tester un prototype avec un exercice complet aux professionnel.les et à des jeunes TSA. Et d'ici mars 2025, notre objectif est de finaliser un prototype incluant quatre exercices. Il s'agira de trouver ensuite un financement pour faire des tests à plus grande échelle et pour mesurer la valeur ajoutée. 

Comment ce prix change la perception de votre travail, quel message vous aimeriez envoyer à la communauté scientifique et au public ?

C'est surtout la communauté scientifique et le public qui nous envoient des messages. Le fait d'avoir remporté ce prix, avec le plus de votes, montre l'importance actuelle du sujet. De nombreuses personnes nous ont contactés en disant : « Vous travaillez sur les TSA ? Ma nièce, mon frère, etc., sont concernés. Peut-on essayer ? » Nous avons récemment obtenu un fonds FNS pour améliorer le diagnostic des TSA, notamment chez les femmes, car ce trouble est souvent sous-diagnostiqué chez elles. Les TSA sont devenus un véritable enjeu de société, touchant 1 % de la population. Pour éviter leur exclusion, nous devons intervenir rapidement. Cette reconnaissance montre l'intérêt du public et de la communauté scientifique, et donne de la visibilité à nos partenaires, comme Eliézer, la Clinique Dis7 ou encore Autisme Valais. Un grand « Living Lab » est en train de se constituer autour des TSA en Valais, avec un pôle d'expertise qui se développe au sein de notre Haute Ecole.

 

*Trouble du spectre de l'autisme